Les bacs à voiles

Les bacs à voiles

31 juillet 2024 0 Par Claudine Busca

Le bac à voile "Tante Sophie"
Le bac à voiles “Tante Sophie”

Les bacs à voiles, apparus à la fin du 19°, étaient des bateaux de transport sur le Bassin d’Arcachon.

C’est simultanément grâce au début de l’exploitation des forêts du nord bassin et à la naissance de l’ostréiculture sur le Bassin d’Arcachon que les bacs à voiles se sont développés..

Les bacs à voiles servaient au transport des poteaux de mine.

Nicolas Brémontier, inspecteur des Ponts et Chaussées, ensemença nos dunes littorales au 18° siècle pour les fixer et une forêt naquit.

Bac à voile du Bassin d'Arcachon
Bac à voiles du Bassin d’Arcachon

Alors, au milieu du siècle suivant, les premiers arbres venus à maturité furent exploités. Les bois du nord bassin étaient acheminés jusqu’à la plage des Pastourelles à Jane de Boy où, depuis un appontement, on les chargeait sur les bacs à voiles pour rejoindre Arcachon à marée haute.

Appontement de Jane de Boy, départ des bacs à voile vers la rade d'Eyrac
Appontement de Jane de Boy, départ des bacs à voiles vers la rade d’Eyrac

Le bois était ensuite chargé sur des cargos qui l’emmenaient dans le nord de la France et en Angleterre. Les poteaux de mines servaient à soutenir et consolider les mines de charbon. Plus tard, dans l’après-guerre, grâce à l’appontement de La Vigne, la profondeur des eaux permit aux bateaux de forts tonnages de se présenter. Les bacs à voiles perdaient leur utilité…

Les bacs à voiles servaient au transport des huitres.

Pour aller au parc, les ostréiculteurs disposaient de pinasses à voile et à rames. Sur les parc, il existait des pontons qui servaient initialement à loger les gardiens assermentés. leur rôle étant de surveiller les parcs souvent victimes de contrevenants. Par la suite, les ostréiculteurs transformèrent ces pontons en ateliers pour le travail et le stockage des huitres.

Bac à voiles chargé d'huitres.
Bac à voiles chargé d’huitres.

Lorsque les bacs à voiles apparurent, tout devint plus simple. Leurs possibilités d’utilisations multiples en firent pour quelques années le navire idéal sur le Bassin d’Arcachon. Désormais, les parqueurs purent se déplacer rapidement et emporter tous les chargements possibles. Ces bacs servaient en même temps de bateaux ateliers. Malheureusement, la motorisation en vint à bout dans les années 30.

L’ancêtre des bacs à voile

Avant 1848, aux États Unis, sur le fleuve Quinnipiac qui traverse l’état du Connecticut, les pêcheurs d’huitres utilisaient des “dug out canoës”. Ces bateaux étaient plats, pointus à l’avant, dotés d’une poupe carrée, munis de deux dérives latérales et gréés d’une voile pointue.

Les huitres se raréfiant, ces pêcheurs furent contraints de travailler en dehors du fleuve, sur la côte. Ils imaginèrent alors un bateau de service de très faible tirant d’eau pouvant passer sur les bas-fonds, permettant de naviguer en mer à la voile et supportant la lame. La dernière condition était sa stabilité pour le dragage des huitres. Le sharpee/sharpie fut inventé ! Deux constructeurs se livrèrent un féroce combat pour se déclarer l’inventeur du modèle. Ajoutons qu’aux États Unis, les sharpies furent longtemps uniquement considérés comme des bateaux de pêche jusqu’en 1879. A partir de cette date, de nombreuses correspondances publiées dans la presse américaine éveillèrent la curiosité des yachtmen et des constructeurs. Ils devinrent alors également des bateaux de plaisance.

Victor Coste

Victor Coste, Collection privée Olivier Levasseur
Victor Coste, Collection privée Olivier Levasseur

Ce célèbre naturaliste et membre de l’Académie des Sciences, était un proche de l’Empereur Napoléon III. Il était aussi le médecin de l’Impératrice Eugénie. Napoléon III le nomma Inspecteur général des pêches maritimes, et le chargea de développer des expériences d’huîtrières artificielles, notamment à Arcachon. L’empereur vint sur le Bassin en 1859 et lui demanda de créer dès 1860 les deux premiers parcs impériaux du Grand Cès et Crastorbe. Ces deux parcs modèles devaient constituer un foyer de reproduction pour tout le bassin et servir à expérimenter divers appareils collecteurs.

C’est ainsi que, d’une lointaine tradition datant de la plus haute antiquité où les habitants du Bassin d’Arcachon pêchaient les huitres, ils se lancèrent dans l’ostréiculture.

Le Grand Cès et Crastorbe(source SIBA)
Le Grand Cès et Crastorbe (source SIBA)

Fin mars 1862, Monsieur Coste contacta M. De Broca, Lieutenant de Vaisseau de la Marine Impériale et Directeur des mouvements du port du Havre. Il lui ordonna de se rendre aux États Unis afin d’y étudier les procédés de l’industrie huitrière et d’en rapporter deux espèces de mollusques susceptibles d’être acclimatées sur les côtes de France. Monsieur De Broca revint en 1863 avec un rapport passionnant de 275 page.

Etude de Monsieur De Broca, source Gallica
Etude de Monsieur De Broca, source Gallica

Monsieur de Broca ramena également deux sharpies ( bateaux ostréicoles).

Source gallica
Source gallica

Ces embarcations, pouvant d’être utilisées à toute heure de la marée et sur des bas-fonds, apporteraient un complément fort judicieux à son rapport.

M. De Broca, source gallica
M. De Broca, source gallica

La conférence de Lucien More

En 1880, M. Lucien More du Cercle de Voile de Paris, Président et Fondateur de la Société des Régates Parisiennes et grand collaborateur du journal Le Yacht, pris l’initiative hardie d’organiser une conférence sur les sharpies.

Grand amoureux du progrès et d’une curiosité insatiable, il se passionna pour les sharpies. Il avait lu le rapport de Monsieur De Broca de 1863 et avait même réussi à voir et relever les plans de sharpies ramenés des États Unis et remis à Monsieur Coste. (Sur ce détail précis, il existe deux versions: l’une dit que Monsieur de Broca aurait ramené les plans de deux sharpies; et l’autre version prétend qu’il aurait ramené un sharpie. Je choisis de rester sur la version première car on la retrouve dans la majorité des textes source.)

Sa conférence suscita le plus grand intérêt et elle fut vraisemblablement le point de départ réel des sharpies en France.

C’est donc à partir de cette conférence de 1880 que les yachtmen et les chantiers navals s’intéressèrent aux sharpies. Ils s’en suivirent des mois de combats écrits acharnés dans le journal Le Yacht prouvant les bonnes ou mauvaises qualités nautiques de ces navires … chacun rivalisant de style et d’une “apparente” courtoisie. Bref, un régal à lire!

Les premiers sharpies en France

A la suite de cette conférence, deux premiers sharpies furent mis en construction. Nous retiendrons celui de M. Cabrol, un arcachonnais domicilié au 117 boulevard de la Plage, qui choisit le chantier naval Lagorce de Bordeaux.

Chantier naval Lagorce, source Gallica
Chantier naval Lagorce, source Gallica

Son sharpie avait une seule voile et se tournait avec un aviron de queue. Il fut suivi de peu par M. Gares. Précisons que M. Cabrol devint, en 1903, le propriétaire de la seconde pinasse à moteur nommée Oxy.

Sharpie de Monsieur Cabrol, chantier naval Lagorce. Source Le Yacht
Sharpie de Monsieur Cabrol, chantier naval Lagorce. Source Le Yacht

Par la suite, M.Demay, président du Yachting Club d’Arcachon et propriétaire du Yacht Zampa, en fit construire un pour son fils Etienne. Les essais eurent lieu le 28 juin 1881. Notons qu’un sharpie “aurait été” construit à Nice en 1871, sous la direction de deux architectes américains. ( je file à Nice commencer les interrogatoires ! )

M. Demay choisit un sharpie de 7 mètres et le testa sur la Garonne par très forte brise.

Dès 1883 les sharpies qui allaient devenir après d’ingénieuses modifications nos bacs à voiles, régataient sur le Bassin d’Arcachon dans la catégorie bateaux de service.

Régate de bacs à voile, Jounal le Yacht 1898
Régate de bacs à voile, Jounal le Yacht 1898

Du sharpie au bac à voile

Précisons qu’autrefois, sur le Bassin d’Arcachon, on utilisait les pinasses pour tous les transports maritimes. Plus tard, après la création de la station balnéaire d’Arcachon, les filadières et les canots importés de Bordeaux séduisirent les parqueurs. C’est ainsi que les chantiers Bert, Bossuet, Barrière d’Arcachon ainsi que le chantier Pascal d’Arès se lancèrent dans leur construction.

Cependant, Auguste Bert ,constructeur de bateaux à l’Aiguillon, n’était toutefois pas vraiment satisfait. Il comprenait que ces embarcations ne répondaient pas réellement aux besoin des ostréiculteurs. Selon lui, le bateau idéal devait porter une charge considérable, avoir un tirant d’eau permettant de monter haut sur les terres et être rapide à toutes les allures. Son prix devait être modéré malgré ses grandes dimensions.

Auguste Bert, du sharpie au bac à voile

Après la conférence de Monsieur de More, Auguste Bert réalisa l’intérêt des sharpies qui régataient nombreux chez nous. Alors, il imagina alors, en y apportant quelques modifications ingénieuses, en faire un bateau de service en fonction de nos besoins spécifiques sur le Bassin d’Arcachon. Ainsi grâce à lui, ces bateaux, créés pour la pêche des huitres aux États-Unis, allaient devenir notre outil de travail. Alors, il les adapta en créant un premier modèle qui lui servit pour assurer ses transports personnels et également pour mettre en place les corps morts dans la rade d’Eyrac.

Très vite, ce nouveau bateau remporta un grand succès. Il permettait de transporter des quantités considérables. Son très faible tirant d’eau (30 cm à vide et 50 cm en charge), sa dérive et son gouvernail relevable permettaient de passer partout. Ajoutons qu’il était également performant en navigation et remontait particulièrement bien au vent. Il semblerait que sa première vocation aurait été le transport des poteaux de mine et que, par la suite, les ostréiculteurs furent conquis.

Sharpie de Monsieur Cabrol, chantier Lagorce, source Le Yacht Gallica
Sharpie de Monsieur Cabrol, chantier Lagorce, source Le Yacht Gallica

Dans l’Avenir d’Arcachon en 1902 on lit que pour la Fête de la Saint Hubert qu’organisa André Lesca à la Villa Algérienne, des chevaux de chasse furent transportés sur des bacs à voiles au départ d’Arcachon.

Les bacs à voiles pour le transport : L'Avenir d'Arcachon, Gallica
Les bacs à voiles pour le transport Source: L’Avenir d’Arcachon, Gallica

Des sharpies / bacs à voile pour tous!

Ce fantastique bateau, idéal pour la plaisance, les régates et le travail conquit rapidement toute l’Europe. Il fut également décliné en version vapeur pour naviguer sur les rivières ou en mer.

Enfin, il faudra attendre les années 80 pour voir réapparaitre les bacs grâce à Pierre Mallet.

A suivre…

Un clin d’œil chaleureux à Patricia, pour ses corrections !

Sources

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k345587/f22.item.r=sharpee

https://www.persee.fr/doc/acths_1764-7355_2014_act_134_13_2603

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k113528h/f173.item.r=de%20broca%20industrie%20des%20peches%20en%20amerique

https://leonc.fr/foret/foret.htm

https://bassin-arcachon-patrimoine-naval-plaisance.fr/2021/02/01/boulogne-sauvetage-snsm-hospitalierssauveteursbretons-bassin-arcachon-patrimoine-naval-pinasse-canot-secours-benevoles/

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8847720/f64.item.r=étude%20sur%20l’industrie%20huîtrière%20des%20etas%20unis,

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