Nos pinasses aux Dardanelles
Des pinasses du Bassin d’Arcachon participèrent à la Bataille des Dardanelles et à l’ouverture d’un front périphérique, dont l’épicentre était Salonique en Grèce. Dès le mois d’août 1914, le Ministère de la Marine réquisitionna des navires et des inscrits maritimes afin de constituer une flotte auxiliaire pour compléter les moyens insuffisants de la Marine Nationale.
Ainsi, des milliers d’hommes combattirent dans ce corps expéditionnaire que l’on nomme l’Armée d’Orient. Ajoutons une pensée pour Sylvie Nadal Baïle et son frère Jean-Michel dont le grand-père fut un des nôtres qui partit aux Dardanelles..
Réquisition des pinasses
Précisons que, le décret du 31 juillet 1914 prévoyait deux types de réquisitions. La réquisition en propriété où le navire devenait la propriété de l’état, et la réquisition en jouissance où le navire était éventuellement rendu à son propriétaire à la fin des interventions.
Grâce à leurs qualités nautiques, les pinasses servirent aux déminages, remorquages, aux transports rapides, aux rapatriements des blessés vers les navires-hôpitaux et enfin d’éclaireurs.
Départ des pinasses
Alors, dès les premiers mois de 1915, la marine Arcachonnaise coopéra d’une manière importante. Vingt huit chalutiers vapeur furent réquisitionnés à l’exception de deux qui restèrent sur la Bassin à la disposition des pêcheries.
Le Courrier du Cap, qui assurait les liaisons entre Arcachon et le nord Bassin, fut lui aussi réquisitionné en 1917 au grand désespoir des habitants de la presqu’île pour partir aux Dardanelles. Il reviendra à arcachon le 9 mars 1919.
En tout, l’état réquisitionna 78 pinasses ou canots à moteurs et envoya la majorité aux Dardanelles ou à Salonique.
Arcachon pendant la guerre: tout ou rien
Arcachon connut alors une période exectionnelle de prospérité apparente, car de nombreuses familles des départements envahis vinrent se réfugier dans notre station hospitalière. Tous les hôtels étaient pleins et tous les chalets loués.
Les soldats en permission dépensaient à pleines mains avec l’insouciance de personnes destinées à une fin prochaine. Certains commerçants firent fortune car ils avaient anticipé et remplis leurs magasins.
A partir de 1917, les soldats russes et américains, qui succédèrent aux tirailleurs sénégalais, rivalisaient de prodigalité. Un adolescent rapporta: “Les russes buvaient de grands verres de Cognac et donnaient de généreux pourboires”.
A l’inverse, Monsieur Rebsomen présentait les russes comme une horde de brutes et d’ivrognes insubordonnés. Ces soldats russes appartenaient à la 3° Brigade du corps expéditionnaire russe qui, après la rébellion de la Courtine, fut déplacée au camp du Courneau, sous les ordres du général Nikolaï Lokhvisti. Ils venaient en ville pour “faire la noce”. André Rebsomen témoigne qu’on les voyaient dans les rues une bouteille sous le bras, ivres et bousculants les passants.
Quoiqu’il en soit, les produits de première nécessité, tels que le charbon, le sucre et le sel, se vendaient à prix d’or, de telle sorte que pour beaucoup d’arcahonnais, il était quasiment impossible de les acheter. Même les bains étaient interdits sauf dans le bassin. Et enfin, le carburant manquant, les pinasses restantes étaient alignées le long des plages. Heureusement, certaines à cette époque étaient munies de voiles.
Pour la ville d’Arcachon ,comptant à l’époque 10205 habitants, 2 369 personnes furent mobilisées. La proportion était la même pour les autres communes du bassin. 11% des mobilisés furent tués ou portés disparus.
Abel Auschistzky et la pinasse
Abel Auschitzky, le futur célèbre avocat de la cour d’Appel de Bordeaux et Chevalier de la Légion d’Honneur, fut mobilisé dans l’Armée d’Orient. Dès le début de la guerre, il combattit sur le Front de Salonique et le Front de Macédoine.
Débarqué à Salonique comme attaché à l’intendance, il partit sur le front et découvrit la neige en Albanie, pays sans voie ferrée et avec une seule route difficilement praticable. Le ravitaillement y étant très compliqué, l’armée française développa tous les moyens imaginables avec l’aide d’une population bienveillante. Il partit ensuite dans la région des lacs en Serbie.
Au bord d’un de ces lacs, pour ravitailler un régiment, il fut transporté l’espace d’un instant chez lui, au Mouleau. Le bruit d’un moteur Couach retentissait dans ses oreilles. Une pinasse semblable à la sienne, “Ama Baïta”, du même nom que sa maison au bord de la plage du Mouleau, arriva en escortant une flottille de bateaux Motogodille du génie.
Le contexte
Mentionnons que, dès le 1° novembre 1914 les Turcs entrèrent dans la Grande Guerre aux côtés des Allemands et des Austro-Hongrois.
Sachant que, la Russie étant notre précieux allié, l’idée était de prendre à revers l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie en s’emparant de Constantinople. Ainsi on forçait la Turquie à la paix, afin de rouvrir les liaisons maritimes avec les ports russes de la mer Noire. Mais les Turcs, avec les conseils de l’Allemagne avait anticipé et fortifié ses côtes savamment.
Menée entre février 1915 et avril 1916, c’est Winston Churchill , premier Lord de l’Amirauté (commandant général de la Royal-Navy) et Raymond Poincaré, président de la République française. qui sollicitèrent cette opération franco-britannique.
L’enfer des Dardanelles
Comme l’illustre cette carte, le long détroit des Dardanelles s’étend sur 61 km longueur et seulement de 1,2 à 6 km de largeur. Début 1915, les alliés commencèrent par le bombarder. Puis, ils lancèrent une nouvelle attaque, cette fois navale, à son entrée avec avec seize cuirassés escortés par des destroyers, le 18 mars. Les navires ouvrirent le feu sur les défenses Turques à l’entrée de la mer de Marmara et, après à peine une heure, lancèrent l’attaque en vue d’un débarquement.
Mais l’armée Turque avait savamment miné le détroit. Des chalutiers dragueurs et des pinasses déminaient les fonds sans relâche. Mais l’armée Turque ne cessa de continuer à poser des mines.
Rapidement, un premier cuirassé français, le Bouvet, heurta une mine dérivante et coula à pic vers 14h. Ensuite, deux autres cuirassés français furent touchés mais réussirent à se retirer. Deux des cuirassés britanniques, l’Océan et l’Irrésistible heurtèrent également des mines, et coulèrent lentement. Heureusement, on sauva leur équipage pratiquement au complet. A force, les mines vinrent à bout de plusieurs contre-torpilleurs.
Ajoutons que, nos pinasses furent également utilisées pour le transport des soldats blessés à bord du navire-hôpital Bien Hoa.
Les forces alliées lors de la bataille de Gallipoli
Un débarquement eu enfin lieu le 25 avril 1915.
La 29e division britannique débarqua sur cinq plages de la pointe sud de la péninsule (indiquée par les cinq flèches rouges autour du cap Helles) et tenta de s’emparer des hauteurs d’Achi Baba sous le commandement du général Ian Standish Monteith Hamilton.
Au même moment, une division coloniale française lançait une attaque de diversion à Kum Kale, du côté asiatique du détroit (indiqué par la flèche bleue)sous le commandement du général Albert d’Amade.
Enfin, le corps d’armée australien et néo-zélandais (ANZAC) effectua un débarquement séparé à environ 20 km au nord à Ari Burnu (plus tard connu sous le nom d’Anzac Cove) sous le commandement du général William Birdwood. Leur travail consistait à sécuriser la chaîne de Sari Bair, aboutissant à la capture de Mal Tepe.
L’ensemble des forces alliées étaient sous le commandement de l’amiral britannique John Michael de Robeck.
L’empire Ottoman s’allie aux Puissances centrales
Précisons que, l’Empire Ottoman (la Turquie) voulait exercer un plus grand contrôle territorial sur les peuples turcs, dont un grand nombre vivaient en Russie, et ainsi, protéger sa frontière de la Russie. A ce titre, les turques rejoignent les Puissances centrales (Allemagne et Italie) en 1914.
Lors de la Bataille de Gallipoli, à seulement 34 ans, le jeune colonel Mustafa Kemal Atatürk, futur président et fondateur de la République de Turquie, deviendra un héros national grâce à sa contribution lors de la victoire contre toute attente sur les Alliés à la Bataille de Gallipoli.
En février 1915, il est envoyé sur la presqu’île de Gallipoli pour bloquer les Britanniques. Faisant preuve d’un courage exceptionnel, menant en personne des contre-attaques désespérées à la tête de ses hommes, Mustafa Kemal inflige aux Anglais une défaite retentissante qui lui vaut le grade de général et le titre honorifique de Gazi, le «Victorieux».
Sans délai, il sera promus au grade de général en 1917.
Le débarquement des troupes de l’Anzac remorquées par les pinasses
La théorie
En théorie, le général commandant les ANZAC sir William Birdwood, souhaitait ainsi débarquer 4.000 hommes de la 1° division d’infanterie de l’armée australienne, en trois vagues successives, sur un front d’environ 2 000 mètres.
Précisons que, c’est le 10° bataillon d’infanterie australien qui devait commencer. Les hommes allaient s’entasser dans les canots, et sitôt remplis, ils seraient largués. Alors, des pinasses du Bassin d’Arcachon les attendraient pour les remorquer jusqu’à la côte quatre par quatre. A une cinquantaine de mètres du rivage elles devaient à leur tour larguer les canots .
Une fois débarquées, les troupes devaient foncer vers l’intérieur pour prendre pied, à deux kilomètres de la plage, au sommet de trois collines dominantes. Sans tarder, les autres vagues d’assaut, protégées par les postes établis sur les hauteurs, aborderaient un terrain relativement facile et installeraient une ligne organisée, à 3 ou 4 000 mètres plus loin.
La pratique
Ainsi, dès l’aube le débarquement commença, sur cinq petites plages de la presqu’île de Gallipoli, à l’extrémité nord-ouest des Dardanelles. On le nommera « l’enfer de Gallipoli ».
La côte à 3000 mètres était à peine visible aux premières lueurs de l’aube. Un silence complet régnait.
Le traquenard ottoman
Mais à cette époque, sans l’aide précieuse de nos GPS, ils se trompèrent d’endroit pour une des zones prévues. En effet, les Turcs avaient intentionnellement déplacé une bouée de marquage beaucoup plus au nord face à des escarpement quasi infranchissables.
Ainsi, rapidement les patrons des pinasses s’aperçurent de l’erreur commise. Dans ces conditions, il était trop tard pour changer de cap et l’on ne pouvait ni revenir en arrière ni longer la côte hostile en remorquant des canots chargés à en couler. Devant eux, il n’y avait pas la plage de deux kilomètre prévue mais un promontoire couronné par les fortifications d’Ari Burnu.
Le débarquement des troupes de l’Anzac
Alors, lorsque le premier canot arriva, les Turcs déclenchèrent le feu. Les hommes sautèrent des canots pour tenter d’éviter les balles. Cependant, beaucoup n’atteignirent pas la plage. Les plus chanceux commencèrent à tenter de gravir la pente en s’accrochant aux racines et en se déchirants les mains sur les rochers. C’était le désordre complet. Malgré cela, les autres canots continuaient à débarquer débordant d’hommes pendant que les tirs des mitrailleuses les frappaient. Les différentes unités dans ce chaos se mélangeaient et il devenait impossible d’atteindre les objectifs d’organisation fixés.
Près de 4000 hommes continuaient à avancer pendant qu’il devenait impossible d’évacuer les blessés et que d’autres hommes étaient encore débarqués.
L’Etat-Major avait prévu, l’organisation des communications mais, le terrain escarpé rendait cela impossible et les différents officiers responsables ne pouvaient donc plus gérer leurs hommes.
Pendant ce temps, des Neo-Zélandais et des Indiens débarquèrent aussi. Mais à partir de ce moment, les Turcs furent désorganisés et à bout de munitions.
C’est la raison pour laquelle, le jeune général Kemal Pacha prit la décision personnelle de faire intervenir sa division entière au lieu d’un seul bataillon comme prévu initialement. Ainsi, il partit à la tête de ses hommes au combat. Sa présence sur le champ de bataille leur donna la force dans un dernier élan et les Anzac perdaient le combat.
Winston Churchill a sous-estimé l’armée turque
En fin de compte, le général Kemal Pacha devint alors un véritable héros en Turquie et Winston Chruchill dut attendre la seconde guerre mondiale pour redorer son blason.
Ajoutons qu’en juin 1916, le ministre de la guerre, Herbert Kitchener, lui fit remarquer juste avant de mourir à bord du croiseur blindé le HMS Hampshire lors d’un bombardement: “Il est un exploit que personne ne songera jamais à vous nier: la flotte était prête.”
Se souvenir des Dardanelles
Beaucoup d’embarcations canots et pinasses furent détruites et leurs occupants tués ou noyés. Au total, cette opération inutile aura coûté la vie à 180.000 soldats alliés dont 30.000 Français et 66.000 Turcs.
Pour conclure, résignés, les Alliés évacuèrent leurs corps expéditionnaires et les transfèrent à partir d’octobre à Salonique, en Grèce. Les derniers soldats quittèrent les Dardanelles dans la nuit du 8 au 9 janvier 1916…
Sources:
Avec l’aide bienveillante de @Claude Cémoi de Facebook
https://forum.pages14-18.com/viewtopic.php?t=35474
https://theatrum-belli.com/lexpedition-des-dardanelles-19-fevrier-1915-9-janvier-1916%EF%BB%BF/
https://www.herodote.net/25_avril_1915-evenement-19150425.php
https://www.histoire-pour-tous.fr/dossiers/2640-les-allies-debarquent-a-gallipoli-25-avril-1915.html
https://www.histoire-pour-tous.fr/dossiers/2640-les-allies-debarquent-a-gallipoli-25-avril-1915.html
https://books.openedition.org/pressesinalco/20718
https://www.brigadesrusses.fr/Destins_individuels.GB.ht
https://www.leonore.archives-nationales.culture.gouv.fr/ui/
https://bassin-arcachon-patrimoine-naval-plaisance.fr/2024/07/31/les-bacs-a-voiles/
https://fr.wikipedia.org/wiki/John_de_Robeck
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k91079522/f1.item.r=Churchill%20dardanelles
http://jeanmarieborghino.fr/a-journey-to-gallipoli-terminus-gaba-tepe/
http://bertrand.auschitzky.free.fr/AppendicesAuschitzky/LevillaAmaBaita.htm
https://www.postenavalemilitaire.com/t3983-albatros-ii-1915-1919
Bravo Claudine pour cet excellente évocation de la bataille des Dardanelles, j’y suis très sensible car mon grand père maternel, Amand Lafontaine a fait cette bataille dans l’Armée d’Orient, Avec sa compagnie 4/14 de Sapeurs-mineurs du 1er régiment du Génie, il a participé au débarquement de diversion sur la rive orientale pour prendre le fort de Koum Kaleh le 25 avril 1915 au matin. Il feront sauter le mur d’enceinte pour permettre la prise du fort et libérer la pression sur les régiments franco-anglais qui débarquaient en face sur la rive occidentale à Seddul-Bahr. Il restera jusqu’en juillet 1915 dans l’enfer de Gallipoli d’ou il sera évacué avec la dysenterie comme beaucoup de ses camarades. J’ai raconté son histoire et celle de mon grand père paternel lui aussi dans l’Armée d’Orient et de mes grands oncles dans un document qui leur est consacré pendant cette terrible guerre de 14-18.