Numa Lurie et le chalutier vapeur Yvonne

Numa Lurie et le chalutier vapeur Yvonne

13 septembre 2024 0 Par Claudine Busca

Yvonne, le chalutier vapeur au destin tragique appartenait à l’armateur Numa Lurie d’Arcachon.

Dès le 9 janvier 1917, le Kaiser Guillaume II mit l’Europe en état de blocus maritime : “J’ordonne de commencer le 1er février la guerre sous-marine sans restriction avec la plus grande énergie”. Voulant asphyxier économiquement l’Entente, il autorisa sa flotte à attaquer les pavillons neutres, convaincus par avance de commercer au profit de l’Entente. 1917 sera l’année de la guerre sous-marine à outrance.

Yvonne, le chalutier vapeur de Numa Lurie, source Gallica
Yvonne, le chalutier vapeur de Numa Lurie, source Gallica

Numa Lurie ostréiculteur

Pour commencer, Numa Lurie fut ostréiculteur et, la Station Biologique d’Arcachon lui consacra un article dans son édition de 1922. Numa Lurie souhaitait élargir sa clientèle et conquérir le marché de la Côte d’Azur.

Bulletin de la Station Biologique d'Arcachon en 1922, consacré à Numa Lurie, source Gallica
Bulletin de la Station Biologique d’Arcachon en 1922, consacré à Numa Lurie, source Gallica

En 1875, Gratien Laffite, ostréiculteur du Bassin d’Arcachon réalisa une des premières tentatives d’ensemencement d’huîtres dans l’étang de Thau. En 1886, Numa Lurie tenta à son tour d’y amener de jeunes huitres. Certes, l’absence du marées comparativement au Bassin l’obligea à réorganiser ses méthodes de cultures. Les huitres étaient contenues dans des casiers ordinaires, empilés au bord du rivage et repérables grâce à des barriques remplies d’eau, servant de flotteurs.

Casiers d'huitres repérables grâce au barriques flottant au dessus, source ostreisud.fr
Casiers d’huitres repérables grâce au barriques flottant au dessus, source ostreisud.fr

Les résultats dès premières années étaient extraordinaires car les eaux de l’étang étaient riches et les huitres grandissaient à vue d’oeil. Il tenta même de capter du naissain, mais ce fut un échec.

Numa Lurie Armateur

Plus tard, Numa Lurie se lança dans la pêche et acheta le chalutier vapeur Yvonne. Ensuite il augmenta sa flotte avec d’autres chalutiers tels que Crocodile, Lura, Fishtoft. En 1922, il fonda sa société “Numa Lurie & Cie et confie en gérance ses chalutiers à la Société Nouvelles des Pêcheries à vapeur début 1923. Lura ex Claxby, sera le premier.

Numa Lurie, armateur du chalutier Yvonne , source Gallica
Numa Lurie, armateur du chalutier Yvonne , source Gallica

Numa Lurie appartenait donc au cercle restreint des armateurs qui ont contribué à faire d’Arcachon le premier port de pêche français au début du 20°siècle.

Il était en concurrence, certes à moindre échelle, avec par exemple: La Société Anonyme Cameleyres frères (Alpha, Jeannot, Baudroie, Dauphin, Souffleur,Marguerirre-Renée et Monrevel) La société des Pêcheries de l’Océan (Grèbe, Goeland, Petrel, Eider, Eurvin, Mouette, Alcion et Aigrette). Les Chalutiers d’Arcachon et la société Nouvelles des Pêcheries à Vapeur ( Albatros, Roche-Rouge, Roche-grise, Louise-Marie, Roche-velen, Ville d’Arcachon II) La Société anonyme des chalutiers du littoral qui avaient en gérance Fougère et Satanicle.

Yvonne et le sauvetage maritime

Il faut dire que, le chalutier vapeur Yvonne fut construit en 1898 par l’ Etablissement de la Brosse et Fouché de Nantes, pour le compte l’Armateur Saujon de Bordeaux.

Etablissement de La Brosse et Fouché, constructeur du chalutier Yvonne, source Gallica
Etablissement de La Brosse et Fouché, constructeur du chalutier Yvonne, source Gallica

En 1901, Monsieur Saugeon est en liquidation judiciaire, son navire mouillé dans le Bassin à Flot, fut vendu aux enchères.

Le chalutier vapeur Yvonne, source Lloyd's Register
Le chalutier vapeur Yvonne, source Lloyd’s Register

Il le racheta sous le nom des Pêcheries Royannaises dont il était le directeur et maintint son immatriculation à Bordeaux.

Yvonne racheté par Les Pêcheries Royannaises, source Lloyd's Register
Yvonne racheté par Les Pêcheries Royannaises, source Lloyd’s Register

La Société Centrale des Naufragés avait signé un accord avec les Pêcheries Royannaises afin d’assurer le service du sauvetage à l’entrée de l’estuaire de la Gironde. En échange de leur service, ils subventionnaient le chalutier et s’engageaient à l’équiper d’une baleiniere insubmersible et un canon porte-amarres.

Source Gallica
Source Gallica

Ainsi, selon les termes du contrat, le chalutier devait abandonner sa pêche, et se transporter en toute hâte au secours des navires qui lui seraient signalés en danger. Les dépenses incombant de ce fait à la Compagnie des pêcheries, lui étaient remboursées par la Société Centrale qui lui paiyait de plus une indemnité annuelle.

En 1905, à la suite de la faillite des Pêcheries Royannaises , la Société Centrale de Sauvetage, qui devient la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés, racheta le chalutier. En 1910, Yvonne fut rebaptisé Amiral Lafont en mémoire du vice amiral Louis Lafont, ancien président de la société. Le chalutier disparut du Lloyd’s Register en 1915.

Yvonne appartenait à la Société Centrale de Sauvetage des naufragés, source Lloyd's Register
Yvonne appartenait à la Société Centrale de Sauvetage des naufragés, source Lloyd’s Register
Le bateau de sauvetage Amiral Lafont, ex Yvonne, échoué en 1913 sur la plage de la Grande-Couche à coté de Royan, source Charente Maritime d'Antan
Le bateau de sauvetage Amiral Lafont, ex Yvonne, échoué en 1913 sur la plage de la Grande-Couche à coté de Royan, source Charente Maritime d’Antan

C’est sans doute là que Numa Lurie acheta à son tour Yvonne. Précisons que l’état ne réquisitionna pas Yvonne pendant la guerre.

L’équipage du chalutier Yvonne en 1917

En 1917, l’équipage du chalutier Yvonne de l’armateur Numa Lurie, était composé du Patron Louis Montauzé,, du marin Méric (son second à bord), le marin Juge et Jean Bouzats (dit Pierre), Ernest Eugène Marie Vannes.

Le chalutier Yvonne de Numa Lurie, coulé source Gallica
Le chalutier Yvonne de Numa Lurie, coulé source Gallica

Le torpillage d’Yvonne

Plus précisément, il existe deux versions du torpillage du chalutier Yvonne de Numa Lurie. Qui plus est, la censure immédiatement empêcha l’ensemble de la presse nationale d’en parler et il manque donc des moments de cette tragédie.

Le chalutier Yvonne de Numa Lurie coulé par un sous-marin allemand, source La Gazette de Bayonne-Biarritz et Saint-Jean-de-Luz
Le chalutier Yvonne de Numa Lurie coulé par un sous-marin allemand, source La Gazette de Bayonne-Biarritz et Saint-Jean-de-Luz

A partir du 7 février, le censure fut levée et l’ensemble des journaux nationaux narrèrent cette tragédie. Concrètement, le gouvernement d’Aristide Briand créa la « Maison de la presse » chargée de coordonner censure et propagande. “Anastasie”, surnom que l’on donnait à la censure permettait de limiter le découragement de la population française face aux pertes civiles et militaires.

Extrait de l'article censuré dans l'Avenir d'Arcachon sur le torpillage du chalutier Yvonne de Numa Lurie, source Gallica
Extrait de l’article censuré dans l’Avenir d’Arcachon sur le torpillage du chalutier Yvonne de Numa Lurie, source Gallica

Le torpillage d’Yvonne de Numa Lurie raconté par le marin Juge.

Monsieur Juge, marin à bord d’Yvonne, vivait à Arcachon, rue François de Sourdis à la villa Magnolia. Tous les arcachonnais le connaissaient. Aussi pieux qu’intrépide, c’est lui qui tous les ans portait la statue de Notre-Dame d’Arcachon lors de la procession annuelle du 25 mars.

La procession depuis la basilique mineure Notre-Dame d'Arcachon jusqu'à La Croix des Marins, un 25 mars
La procession depuis la basilique mineure Notre-Dame d’Arcachon jusqu’à La Croix des Marins, un 25 mars

Par chance, seule sa main gauche fut blessée. Je vous laisse “juge” de la manière dont il enjoliva son témoignage sous le coup de l’émotion.

Il raconta: “C’était le 5 février, à 6 heures; il faisait encore nuit; la mer était démontée; nous relevions le filet. Subitement, …………………………………………………………….(partie du récit censurée) , Le commandant du sous-marin nous demande notre nationalité et notre port d’attache; je lui réponds: Francois. Arcachon. Il nous ordonne de nous éloigner car nous nous étions approchés du sous-marin pour parlementer. J’appuie ma rame contre le sous-marin; il se met à crier “Prenez garde; vous allez abimer la peinture”.

Comme vous le voyez, ce misérable s’inquiétait beaucoup plus pour la peinture du sous-marin que de la vie des huit hommes qui se trouvaient dans l’embarcation; il achève le chalutier d’un coup de canon. Notre situation fut épouvantable; notre embarcation trouée était à moitié plaine d’eau; le froid était extrêmement vif, à tel point que les matelots tour à tour leurs pieds sous les fesses des camarades assis devant eux pour se réchauffer.

Nous avons ainsi navigué pendant vingt-sept heures, sans aucune nourriture; nous avons mis un drapeau en berne. Enfin, le lendemain matin, nous avons rencontré un chalutier qui nous a remorqué jusqu’à un petit port voisin. Nous étions tous à moitié morts de faim, de froid et de fatigue, et de manque de sommeil. trois d’entre nous avaient été blessés par la mitraille. On ne peut imaginer plus grande infamie, pareille lâcheté que d’assassiner ainsi des pêcheurs inoffensifs et sans défense. Grâce aux secours, nous pûmes nous reposer et revenir à Arcachon par le chemin de fer.”

Quelques jours après, ce fut Monsieur Méric, second à bord du chalutier, qui demanda un rectificatif au journal.

Journal l'Avenir d'Arcachon, source Gallica
Journal l’Avenir d’Arcachon, source Gallica

La deuxième version du torpillage d’Yvonne de Numa Lurie

Le 5 février 1917, à 6h du matin, Yvonne relevait son chalut à 20 miles à l’ouest d’Arcachon. Temps brumeux, brise fraîche de NE, mer très houleuse. L’équipage d’Yvonne entendit soudain un coup de Cannon qui toucha la passerelle. Ce n’est qu’à partir de là que les pêcheurs ont vu le sous-marin qui se trouvait entre 150 et 200 mètres d’eux.

Après le premier impact, Yvonne à du dériver vers lui. A cette époque de l’année, les courantes remontent vers le nord et sont en général relativement faibles. Les pêcheurs accostèrent alors ,à deux ou trois mètres du sous-marin, et constatèrent qu’il était en demi plongée. La peinture grise semblait dater de quelques mois déjà. Un canon à tir rapide était fixé sur le pont sur l’avant du kiosque.

L’équipage Allemand du sous-marin paraissaient très jeune. Son commandant avait à peine vingt-huit ans. Ils ont demandé aux pêcheurs leur nationalité, le nom du bateau et le port d’attache. Ils parlaient très peu français . Puis, un second coup touche l’avant du chalutier, tuant un matelot. Un troisième coup touche l’arrière, tuant le capitaine et le chef mécanicien. Les pêcheurs abandonnent alors le navire à la hâte et YVONNE coule aussitôt

Le sauvetage de l’équipage du chalutier Yvonne de Numa Lurie

La chaloupe sardinière Alba de Saint Jean de Luzqui à porté secours aux marin du chalutier Yvonne de Numa Lurie, source Trois-Mâts basque
La chaloupe sardinière Alba de Saint Jean de Luzqui à porté secours aux marin du chalutier Yvonne de Numa Lurie, source Trois-Mâts basque

Nos marins restèrent 26 heures passées dans leur canot dérivant. Enfin, la chaloupe sardinière Alba, du port de Saint Jean de Luz les rencontra à 08h00 le 6 février. L’équipage d’Alba les prit en charge et les déposa à Saint de Luz vers midi.

C’est l’Etat major qui transmit ce rapport à l’Inscription Maritime. Il précisa que les matelots débarqués à saint Jean de Luz ne savent pas très bien s’ils étaient à 20 ou 50 milles au large d’Arcachon au moment du canonnage.

L’UB-39

L’UB-39 est un sous-marin allemand, de type UB II, utilisé par la  Kaiserliche Marine pendant la Première Guerre mondiale. Il appartenait à la série des “U-boot” qui étaient de redoutables navires, fiables et endurants, sans égaux dans les autres marines

Il semblerait que ce soit le sous-marin UB-39 commandé à cette période par Heinrich Küstner. Commandant de cette unité entre le 6 octobre 1916 et le 9 avril 1917, il fit couler cinquante trois navires dont seize chalutiers.

Ajoutons cependant, que sur aucune photo de guerre, on ne peut lire le numéro sur le kiosque d’un sous-marin. Les survivants d’Yvonne n’ont cependant pas pu l’inventer.

Le sous-marin UB-14 similaire au UB-39 qui a torpillé le chalutier Yvonne de l'armateur Numa Lurie d'Arcachon, photo libre de droit
Le sous-marin UB-14 similaire au UB-39 qui a torpillé le chalutier Yvonne de l’armateur Numa Lurie d’Arcachon, photo libre de droit

Pour terminer, le 7 Mai 1917, par 51°20 N et 02°09 E, l’UB-39 disparu avec tout son équipage de 29 hommes dans la Manche, près du banc de Sandettié, en sautant sur une mine
On retrouva son épave au large des côtes Belges en 2007. 

Le banc de Sandéttié ou coula l'UB-39
Le banc de Sandéttié ou coula l’UB-39

Sources

https://www.retronews.fr/journal/la-france-de-bordeaux-et-du-sud-ouest/26-octobre-1925/1113/3709397/5?from=%2Fsearch%23allTerms%3D%2522Numa%2520Lurie%2522%26sort%3Dscore%26publishedBounds%3Dfrom%26indexedBounds%3Dfrom%26page%3D1%26searchIn%3Dall%26total%3D29&index=1

https://www.retronews.fr/journal/la-gironde/4-avril-1922/2003/4235625/2?from=%2Fsearch%23allTerms%3D%2522Numa%2520Lurie%2522%26sort%3Dscore%26publishedBounds%3Dfrom%26indexedBounds%3Dfrom%26page%3D1%26searchIn%3Dall%26total%3D29&index=10

https://www.retronews.fr/journal/la-gironde/19-octobre

https://www.retronews.fr/journal/la-gironde/31-janvier-1925/2003/4236795/2?from=%2Fsearch%23allTerms%3D%2522Numa%2520Lurie%2522%26sort%3Dscore%26publishedBounds%3Dfrom%26indexedBounds%3Dfrom%26page%3D1%26searchIn%3Dall%26total%3D29&index=21

https://www.retronews.fr/journal/la-gironde

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1199586x/f71.image.r=%22Numa%20Lurie%22?rk=21459;2

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6147885k/f1.item.zoom

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2375691g/f8.image.r=%22Amiral%20Lafont%22?rk=879832;4

https://bassin-arcachon-patrimoine-naval-plaisance.fr/2020/12/31/amiral-pierre-evariste-mouly-avenue-arcachon-quartier-brigadier-aiguillon-condorcet-lycee-legion-honneur-toulon-bassin-patrimoine-naval-histoire/

https://www.retronews.fr/journal/la-gazette-de-biarritz-bayonne-et-saint-jean-de-luz

https://forum.pages14-18

http://bordeauxaquitainemarine.fr

https://forum.pages14-18.com/viewtopic.php?p=349013#p349013

https://archives.bordeaux-metropole.fr

https://www.facebook.com/groups/347281360281935/?hoisted_section_header_type=recently_seen&multi_permalinks=576089680734434

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https://www.uboat.net/wwi/boats/?boat=UB+39

https://www.cheminsdememoire.gouv.fr